Dark Social : comment rester dans la conversation quand vous n’y avez plus accès ?

Philippe Butigieg

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Imaginez : dans une même pièce, 50 de vos plus gros acheteurs B2B potentiels discutent en toute franchise. Ils s’entraident sur une nouvelle réglementation, échangent sur des pain point, partagent des retours d’expérience… Peut-être même s’interrogent-ils sur votre solution et celles de vos concurrents. Vous, hélas, restez derrière la porte irrémédiablement fermée.

Le Dark social, qu’est-ce que c’est ?

Cette grande pièce où se font et défont vos leads n’a rien d’un secret. Il en existe même des centaines qui regroupent la plupart du temps des personnes aux mêmes fonctions et expertises (CMO, CTO, “experts du contenu”) que ce soit sur Slack, Notions, Linkedin, Whatsapp et bien d’autres plateformes de discussion. Bienvenue donc dans le “Dark Social” : au sein de ces groupes fermés, les participants échangent conseils et liens vers des ressources pertinentes. C’est d’ailleurs de ces échanges de liens qu’il tire son qualificatif de dark : les sites ont le plus grand mal à analyser la provenance du “trafic sombre” généré sur les plateformes de discussion.

Or, depuis qu’ils sont dématérialisés, ces lieux d’entraides et de recommandations entre pairs ont gagné en puissance grâce à des avantages indéniables : une fois admis, vous y avez accès au zeitgeist de votre métier comme à des conseils pointus et bienveillants de vos semblables, le tout agrémenté d’une plateforme de réseautage sans commune mesure. Dans le B2B, la tendance n’est pas près de s’arrêter : longtemps cantonnée au monde de la tech, la pratique se généralise à mesure que les nouvelles générations arrivent à des postes de décision.

Pour un communicant ou un directeur marketing, ces groupes représentent une opportunité aussi alléchante qu’il est frustrant de ne pouvoir y participer. Comment rester dans la conversation quand vous n’y avez pas accès ? Trois stratégies se présentent au secteur B2B, dont une franchement mauvaise.

Forcer la porte : la pire des stratégies

La première, évacuons-là de suite, procède d’un réflexe : faire au plus efficace. Il s’agira donc de noyauter le lieu en introduisant un allié ou un collaborateur qui agira subtilement pour défendre l’image de l’entreprise. Vous serez confrontés à deux limites. La première : votre communication est limitée au bon vouloir et à la capacité de la personne introduite. La seconde, rédhibitoire : c’est à l’encontre du fonctionnement de ces groupes restreints, fondée sur une cooptation stricte et sur une prise de parole non biaisée. Au mieux, votre insider s’en tirera avec un rappel à l’ordre ferme. Au pire, l’administrateur/videur évacuera votre espion publiquement. Dans tous les cas, vous renverrez l’image d’un acteur qui ne joue pas le jeu.

La stratégie du penseur-prophète

La seconde stratégie n’a rien de révolutionnaire et peut se résumer ainsi : “Puisque nous ne pouvons prendre la parole, nous serons incontournables et les membres du groupe ne pourront que nous citer”. Retroussez-vous les manches : il va falloir publier une masse critique de contenus utiles afin d’atteindre le fameux Thought Leadership. Votre entreprise doit devenir LA référence du fait de ses analyses, méthodes, données propriétaires, outils… le tout partagé gratuitement. Finis les formulaires et le gated content. Vous souhaitez diffuser au maximum votre pensée, et chaque contenu a son bouton de partage bien en évidence.

L’optimum ? Votre perspective est tellement originale qu’elle renverse celle de vos interlocuteurs. Ces derniers deviennent des ambassadeurs de votre vision, voire des apôtres. D’ailleurs, nos collègues d’outre-atlantique n’hésitent pas à parler “d’évangélisation” des publics et leur communication s’en ressent : grandes messes, “grand reveal”, “Big Idea”, “Big Ideal”, conceptualisation du produit vendu comme un service… Le but de ces dispositifs d’ampleur est bien de forcer les prospects à une révolution copernicienne alignée sur la proposition de valeur de l’entreprise-prophète.
Hélas, la culture française (rationnelle, laïque et critique, a fortiori dans le B2B) goûte assez peu ces grands discours, qui ne peuvent de toute façon être tenus que par un nombre très limité d’acteurs, véritablement leaders de leur marché.

La stratégie du lanceur de conversation

La dernière stratégie consiste à engager la conversation avec le marché afin non pas d’apparaître comme une référence mais de devenir un interlocuteur de qualité. D’ailleurs, avouez-le : le “thought leadership” est certainement perçu en interne comme un jargon de communiquant un peu farfelu, bien loin de l’éthique humble et volontaire de vos ingénieurs et de vos commerciaux. Oubliez vos ambitions d’Icare de devenir un “leader de pensées”, endossez plutôt le rôle de créateur de discussions. En somme, tenez salon, animez un réseau et prenez le risque du dialogue, de la confrontation, de l’échange…
Concrètement, cela implique de mettre en place des rencontres, des tables rondes, des webinars participatifs, des groupes d’échanges libres. Surtout, cela vous engage dans une démarche de prise en compte sincère de ce que vous entendez. Avant même d’influencer la conversation, acceptez d’être influencé par elle, profondément. Voilà là la notion (qui nous est si chère chez Angie) de co-influence appliquée au B2B.

L’optimum ? Quand vous fédérez suffisamment d’interlocuteurs pour créer votre propre plateforme de conversation. C’est loin d’être impossible, comme en témoignent en creux toutes ces solutions SaaS qui vous proposent de “rassembler toutes vos communautés de clients”. Vous n’avez pas accès à la conversation sur les groupes de recommandation fermés ? Qu’à cela ne tienne : créez vous-mêmes le lieu d’échange et osez lancez de vrais sujets. Vos futurs clients vous remercieront. Bonnes discussions.